Marta PAN : une pensée sculpturale entre l’art et l’architecture.
Née à Budapest en 1923, étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts, Marta Pan rejoint Paris en 1947 pour exprimer toute sa créativité loin des écoles académiques.
Premières rencontres déterminantes avec le milieu artistique, Fernand Léger, Etienne Hajdu et surtout Constantin Brancusi. Elle découvre une pensée libre qui va lui permettre de relever tous les défis. Avant de sculpter, elle observe la nature, elle l’apprivoise. Ses premières œuvres sont liées aux formes naturelles des végétaux et des fruits. C’est le début d’un dialogue éternel entre art et nature, qui façonne toute sa création. Brancusi, renforçant son exigence, lui demande de privilégier l’observation et c’est à ce moment qu’elle prend conscience du mouvement, de l’équilibre, qui vont guider son travail dans toutes ces composantes.
Pour comprendre toute cette évolution, il faut bien sûr rappeler sa rencontre avec celui qui deviendra son mari durant toutes ces années, André Wogenscky, grand architecte, premier collaborateur de Le Corbusier. C’est avec lui qu’elle va concevoir une œuvre croisée entre la sculpture et l’architecture.
Chacun va apprendre de l’autre et la perception du monde va les rapprocher au point que leur œuvre devient fusionnelle. Leur maison de Saint-Rémy les Chevreuse édifiée en 1952 témoigne pleinement de cette vision de l’espace et de l’esthétisme.
C’est à cette époque qu’elle va s’engager dans le travail du bois (buis, noyer et autres essences) avec la création d’une première forme en ébène, pièce sculpturale déterminante de l’espace de vie de Saint-Rémy. Elle maitrise au fil du temps les codes de l’architecture, du positionnement de toute œuvre dans l’espace.
Pour elle le matériau quel qu’il soit, bois, polyester, aluminium, acier inoxydable, béton, marbre, plexiglas, bronze, cuivre, donne une réalité physique à la pensée sculpturale.
Elle déclare : « J’aime la matière, mais surtout celle qui se prête le mieux à mon travail, celle qui m’obéit, celle qui me permet de faire une belle forme. Je ne lui demande pas de l’embellir, surestimer la matière, c’est se sous- estimer ».
Il y a des moments forts dans cette relation à la matière, à sa domination et au sens qu’elle apporte à sa création. Il faut évoquer une pièce iconique conçue comme l’archétype du mouvement, le teck sculpture « vivante », élément pivot de la création du ballet de Maurice Béjart. Marta Pan était passionnée par le corps, l’équilibre, la tension nécessairement maîtrisée et en même temps laissant toute liberté aux danseurs. « La forme est le cocon pour contenir, protéger, fixer la pensée » dit-elle. C’est une œuvre construite, déterminée, libre qui va connaître sa plénitude dans le cadre de sa vision de l’environnement urbain (commandes publiques à Brest, à Saint Quentin, à Grenoble, à Annecy, à Paris). Il faut s’imaginer Marta Pan, prenant conscience qu’une « sculpture architecture » peut conditionner le présent et le futur d’une ville ; l’aménagement de la rue de Siam à Brest en est une parfaite illustration : l’eau, le granit noir, la forme répétitive des bassins deviennent le lieu entre le haut de ville et le port maritime, la matérialité et la pureté pour oublier la destruction des années de guerre.
Marta Pan a imaginé et réalisé les premières sculptures flottantes visibles au Kröller Müller aux Pays Bas faisant corps avec l’eau et le vent, jouant de l’équilibre et sublimant le paysage, l’expression même de la beauté, de la maîtrise des formes et de la nature. Elle évoque aussi que son œuvre avec la nature est une relation forte de rencontres inattendues exprimant ainsi sa volonté d’inscrire son acte créateur sans rupture, sans brutalité. Ce sont toutes ces recherches et ce dialogue permanent entre art et nature qui vont conduire Marta Pan à concevoir ces sculptures en acier inoxydable, qui parsèment le parc de la Fondation et dont chaque emplacement correspond à une mise en perspective avec la nature qui les entoure. « L’esprit est porteur de la présence humaine et l’espace défini par rapport à cette présence » dit-elle.
Elle a créé un langage, une esthétique qui lui est propre ; c’est ce travail singulier d’une femme sculptrice confrontée à la nature, qui va être très vite reconnu sur le plan international et tout particulièrement au Japon. Ce sont plus de 40 commandes qui lui ont été confiées dans ce pays pour des aménagements architecturaux mais aussi des parcs de sculpture. Marta Pan et André Wogenscky ont profondément été marqués par la culture japonaise par la relation ô combien construite avec les éléments, avec la nature.
L’architecture même de la maison de Saint-Rémy, dépouillée, ouverte sur le parc, jouant sur la sobriété des matériaux génère autant d’évocations de cette « zenitude » qui les a animés durant toutes ces années. André Wogenscky estimait que le travail pousse l’architecture vers la beauté ; la maison de Saint-Rémy pensée longuement, définie en commun est l’expression même de cette assertion.
Rappelons que Marta Pan a été la première femme sculpteur à recevoir le Premium Impérial du Japon, distinction honorifique d’une grande notoriété, qui marque toute la reconnaissance internationale de son œuvre ; celle-ci est présente dans de nombreux musées en France et à l’étranger, mais aussi dans des espaces publics et des bâtiments qui montrent toute la diversité de son approche esthétique, celle d’une femme engagée, qui définissait l’art comme l’énergie de la vie.
David Caméo
Président de la Fondation Marta Pan – André Wogensky