A l’occasion des Journées européennes du patrimoine, la Fondation Marta Pan & André Wogenscky ouvre gratuitement au public les portes de la maison-atelier et du parc de sculptures.
Visites guidées de la maison sur inscription préalable à partir du 1er septembre 2024 uniquement par courriel : fondation.mpaw@gmail.comLa visite s’effectue par groupe de dix personnes pour une durée de 45 minutes.
Horaires pour le samedi 21 et le dimanche 22 septembre: 10h, 11h, 12h, 14h, 15h, 16h et 17h.
Visite libre du parc de sculptures de 10h à 12h30 et de 14h à 17h30 le samedi et le dimanche.
Affable et talentueux, précis et discret, caustique et attentif, urbain et amoureux du Lot, Pierre Lagard (1944-2015) a été le plus proche collaborateur d’André Wogenscky. Puis, tout en exerçant l’architecture en son nom propre, il a su concrétiser la Fondation voulue par Marta Pan et son mari. Ceci l’a conduit à en devenir le premier Président lorsqu’en 2011, après trois années de discussions, le Conseil d’État a promulgué le décret actant sa création. Mais, emporté par la maladie début 2015, il n’a pas pu développer ce qu’il avait mis tant de conviction à constituer.
L’évolution de Pierre Lagard auprès d’André Wogenscky n’est pas sans analogie avec celle de ce dernier auprès de Le Corbusier à la fois en termes de parcours au sein de l’agence, de responsabilités assumées, d’acquisition accélérée des compétences indispensables à l’exercice du métier d’architecte mais aussi de proximité intellectuelle, la chaleur humaine en plus.
Entré comme simple dessinateur, il devint rapidement dessinateur projeteur puis chef d’équipe. Cette fonction le conduisit à diriger les études des plans d’exécution et le chantier de l’immeuble de la Société Générale rue Auber. Poursuivant son évolution au sein de l’agence, il prit une part importante à l’étude de la Préfecture et du Tribunal de Grande Instance des Hauts-de-Seine situés à Nanterre avant de contribuer aux études de l’hôpital de Corbeil-Essonnes. À partir de 1976, il fut l’adjoint direct, chef d’agence et principal collaborateur d’ André Wogenscky pour ses projets français mais aussi libanais et japonais.
Soutenant la démarche en reconnaissance de son collaborateur comme architecte, André Wogenscky écrit à propos de l’hôpital de Corbeil-Essonnes : « Je puis attester que cet hôpital important est autant son œuvre que la mienne. Il s’agit d’une étude et d’une réalisation communes et d’une collaboration équivalant à une véritable association.» Il ajoutera « Pierre Lagard est très efficace au stade de la conception architecturale, sachant dépasser l’organisation fonctionnelle et la conduire au-delà de l’utilitaire jusqu’à l’organisation plastique et esthétique. »
Cette reconnaissance est également chaleureusement humaine. Ainsi, seul dans la chambre d’un hôtel de Beyrouth de décembre 1980, André Wogenskcy écrit à Pierre Lagard : « Merci pour toute l’aide que tu m’apportes. C’est une grande satisfaction et une grande sureté de me sentir ainsi prolongé, agrandi. J’attache grande importance à ce relais. Parfois, je me sens essoufflé, je butte un peu contre un palier que je n’arrive pas à franchir. Je sais que tu vas prendre le relais, continuer, aller plus loin. Et puis il y a la petite satisfaction des retours. J’aime quand tu viens me poser une question. Car parfois j’ai m’impression de redonner une impulsion. Et çà repart grâce à toi. Sans toi, je ne pourrai rien faire. Mon travail serait mort né. » Quatre ans plus tard, Pierre Lagard répond « Je te dois beaucoup, et de me croire aujourd’hui capable, modestement, de faire de l’architecture. Je suis profondément touché et très fier de la confiance que tu m’as accordée. Elle m’a souvent armé de courage et continuera de le faire. »
Claudie Lagard, son épouse, a récemment légué ses archives au Centre d’archives de la Cité de l’architecture et du patrimoine où elles viendront compléter et enrichir celles d’André Wogenscky.
Projets conduits au sein de l’agence André Wogenskcy
Hôpital de Corbeil-Essonnes (1er projet, 496 lits, 1975/76),
Ensemble de 416 logements à Gennevilliers (1978),
Hôpital de Corbeil-Essonnes (2e projet, 437 lits, 1979),
Ensemble de 378 logements à Gennevilliers (1979),
Hôpital de Corbeil-Essonnes (3e projet, 437 lits, 1980),
Ensemble de 172 logements à Sahel Alma (Liban, 1980),
Hôpital diplomatique à Aden (135 lits, 1983),
Ensemble de 237 logements « Salamandre » à Etaples
Opérations Salamandre à La Ricamarie, Le Lavandou, Saint- Omer, Firminy avec Alain Amadéo
Projet Bangon à Pointe-à-Pitre (1994)
Université des Arts et du Design, départements théâtre et cinéma, à Takarazuka (Japon, 2001- 2004) avec André woenscky architecte en chef
Projet de l’ensemble Bergevin à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe, 1991-1992)
Concours pour le collège Saint Léonard de Noblat (projet non retenu)
Concours pour le lycée Diderot à Paris (projet non retenu)
Concours pour l’Espace culturel de la Guierle à Brive-la-Gaillarde (1989, projet non retenu)
Concours pour le centre de conférences international de Paris (1989, projet non retenu)
Concours pour un village d’entreprises à Labège, avec Pierre Brunerie (1988, projet non retenu)
Concours pour le collège de Montivilliers (1988, projet non retenu)
Concours pour le bâtiment de cardiologie, urologie et RMN de l’hôpital Charles Nicolle à Rouen avec Robert Anxionnat (1987, projet non retenu)
A partir de 1986, en nom propre ou sous celui de l’agence « Architectures Sarl »
Extension du CHU Necker à Paris (2000), laboratoires de recherche de génétique moléculaire et animaleries protégées
Caisse régional d’assurance maladie Midi-Pyrénées à Toulouse (1991-1994) avec Pierre Brunerie, Jean-Christophe Bellouard et Philippe Montlaur
Caisse régional d’assurance maladie à Dieppe (2001-2003) avec Gauthier Chénel
Concours pour une salle de spectacle rock et variétés à Marseille avec Caillol, Poissonier et Ferran
Laboratoires de recherches, Université =René Descartes, Faculté Cochin-Port Royal à Paris (2001-2002)
Caisse primaire d’assurance maladie de l’Ariège à Albi (1995-2001)
Service des urgences du centre hospitalier de Montmorency (1991-1994)
Née à Budapest en 1923, étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts, Marta Pan rejoint Paris en 1947 pour exprimer toute sa créativité loin des écoles académiques.
Premières rencontres déterminantes avec le milieu artistique, Fernand Léger, Etienne Hajdu et surtout Constantin Brancusi. Elle découvre une pensée libre qui va lui permettre de relever tous les défis. Avant de sculpter, elle observe la nature, elle l’apprivoise. Ses premières œuvres sont liées aux formes naturelles des végétaux et des fruits. C’est le début d’un dialogue éternel entre art et nature, qui façonne toute sa création. Brancusi, renforçant son exigence, lui demande de privilégier l’observation et c’est à ce moment qu’elle prend conscience du mouvement, de l’équilibre, qui vont guider son travail dans toutes ces composantes.
Pour comprendre toute cette évolution, il faut bien sûr rappeler sa rencontre avec celui qui deviendra son mari durant toutes ces années, André Wogenscky, grand architecte, premier collaborateur de Le Corbusier. C’est avec lui qu’elle va concevoir une œuvre croisée entre la sculpture et l’architecture.
Chacun va apprendre de l’autre et la perception du monde va les rapprocher au point que leur œuvre devient fusionnelle. Leur maison de Saint-Rémy les Chevreuse édifiée en 1952 témoigne pleinement de cette vision de l’espace et de l’esthétisme.
C’est à cette époque qu’elle va s’engager dans le travail du bois (buis, noyer et autres essences) avec la création d’une première forme en ébène, pièce sculpturale déterminante de l’espace de vie de Saint-Rémy. Elle maitrise au fil du temps les codes de l’architecture, du positionnement de toute œuvre dans l’espace.
Pour elle le matériau quel qu’il soit, bois, polyester, aluminium, acier inoxydable, béton, marbre, plexiglas, bronze, cuivre, donne une réalité physique à la pensée sculpturale.
Elle déclare : « J’aime la matière, mais surtout celle qui se prête le mieux à mon travail, celle qui m’obéit, celle qui me permet de faire une belle forme. Je ne lui demande pas de l’embellir, surestimer la matière, c’est se sous- estimer ».
Il y a des moments forts dans cette relation à la matière, à sa domination et au sens qu’elle apporte à sa création. Il faut évoquer une pièce iconique conçue comme l’archétype du mouvement, le teck sculpture « vivante », élément pivot de la création du ballet de Maurice Béjart. Marta Pan était passionnée par le corps, l’équilibre, la tension nécessairement maîtrisée et en même temps laissant toute liberté aux danseurs. « La forme est le cocon pour contenir, protéger, fixer la pensée » dit-elle. C’est une œuvre construite, déterminée, libre qui va connaître sa plénitude dans le cadre de sa vision de l’environnement urbain (commandes publiques à Brest, à Saint Quentin, à Grenoble, à Annecy, à Paris). Il faut s’imaginer Marta Pan, prenant conscience qu’une « sculpture architecture » peut conditionner le présent et le futur d’une ville ; l’aménagement de la rue de Siam à Brest en est une parfaite illustration : l’eau, le granit noir, la forme répétitive des bassins deviennent le lieu entre le haut de ville et le port maritime, la matérialité et la pureté pour oublier la destruction des années de guerre.
Marta Pan a imaginé et réalisé les premières sculptures flottantes visibles au Kröller Müller aux Pays Bas faisant corps avec l’eau et le vent, jouant de l’équilibre et sublimant le paysage, l’expression même de la beauté, de la maîtrise des formes et de la nature. Elle évoque aussi que son œuvre avec la nature est une relation forte de rencontres inattendues exprimant ainsi sa volonté d’inscrire son acte créateur sans rupture, sans brutalité. Ce sont toutes ces recherches et ce dialogue permanent entre art et nature qui vont conduire Marta Pan à concevoir ces sculptures en acier inoxydable, qui parsèment le parc de la Fondation et dont chaque emplacement correspond à une mise en perspective avec la nature qui les entoure. « L’esprit est porteur de la présence humaine et l’espace défini par rapport à cette présence » dit-elle.
Elle a créé un langage, une esthétique qui lui est propre ; c’est ce travail singulier d’une femme sculptrice confrontée à la nature, qui va être très vite reconnu sur le plan international et tout particulièrement au Japon. Ce sont plus de 40 commandes qui lui ont été confiées dans ce pays pour des aménagements architecturaux mais aussi des parcs de sculpture. Marta Pan et André Wogenscky ont profondément été marqués par la culture japonaise par la relation ô combien construite avec les éléments, avec la nature.
L’architecture même de la maison de Saint-Rémy, dépouillée, ouverte sur le parc, jouant sur la sobriété des matériaux génère autant d’évocations de cette « zenitude » qui les a animés durant toutes ces années. André Wogenscky estimait que le travail pousse l’architecture vers la beauté ; la maison de Saint-Rémy pensée longuement, définie en commun est l’expression même de cette assertion.
Rappelons que Marta Pan a été la première femme sculpteur à recevoir le Premium Impérial du Japon, distinction honorifique d’une grande notoriété, qui marque toute la reconnaissance internationale de son œuvre ; celle-ci est présente dans de nombreux musées en France et à l’étranger, mais aussi dans des espaces publics et des bâtiments qui montrent toute la diversité de son approche esthétique, celle d’une femme engagée, qui définissait l’art comme l’énergie de la vie.
David Caméo
Président de la Fondation Marta Pan – André Wogensky